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Rolland, Romain: Ara Pacis

Portre of Rolland, Romain

Ara Pacis (French)

De profundis clamans, de l'abîme des haines,
j'élèverai vers toi, Paix divine, mon chant.

Les clameurs des armées ne l'étoufferont point.
En vain, je vois monter la mer ensanglantée,
qui porte le beau corps d'Europe mutilée,
et j'entends le vent fou qui soulève les âmes:

Quand je resterais seul, je te serai fidèle.
Je ne prendrai point place à la communion sacrilège du sang.
Je ne mangerai point ma part du Fils de l'Homme.

Je suis frère de tous, et je vous aime tous,
hommes, vivants d'une heure, qui vous volez cette heure.

Que de mon cœur surgisse sur la colline sainte,
au-dessus des lauriers de la gloire et des chênes,
l'olivier au soleil, où chantent les cigales!

* * *

Paix auguste qui tiens,
sous ton sceptre souverain,
les agitations du monde,
et des flots qui se heurtent,
fais le rythme des mers;

Cathédrale qui repose
sur le juste équilibre des forces ennemies;
Rosace éblouissante,
où le sang du soleil
jaillit en gerbes diaprées,
que l'œil harmonieux de l'artiste a liées;

Telle qu'un grand oiseau
qui plane au centre du ciel,
et couve sous ses ailes
la plaine, ton vol embrasse,
par delà ce qui est, ce qui fut et sera.

Tu es sœur de la joie et sœur de la douleur,
sœur cadette et plus sage;
tu les tiens par la main.
Ainsi, de deux rivières que lie un clair canal,
où le ciel se reflète, entre la double haie
de ses blancs peupliers.

Tu es la divine messagère,
qui va et vient, comme l'aronde,
de l'une rive à l'autre,
les unissant,
aux uns disant:
«Ne pleurez plus, la joie revient».
aux autres: - «Ne soyez pas trop vains, le bonheur s'en va comme il vient.»

Tes beaux bras maternels étreignent tendrement
tes enfants ennemis,
et tu souris, les regardant
mordre ton sein gonflé de lait.

Tu joins les mains, les cœurs,
qui se fuient en se cherchant,
et tu mets sous le joug les taureaux indociles,
afin qu'au lieu d'user
en combats la fureur qui fait fumer leurs flancs,
tu l'emploies à tracer dans le ventre des champs
le long sillon profond où coule la semence.

Tu es la compagne fidèle
qui accueille au retour les lutteurs fatigués.
Vainqueurs, vaincus, ils sont égaux dans ton amour.
Car le prix du combat
n'est pas un lambeau de terre,
qu'un jour la graisse du vainqueur
nourrira, mélangée à celle de l'adversaire.
Il est de s'être fait l'instrument du destin,
et de n'avoir pas fléchi sous sa main.

O ma paix qui souris, tes doux yeux pleins de larmes,
arc-en-ciel de l'été, soirée ensoleillée,
qui, de tes doigts dorés,
caresses les champs mouillés,
panses les fruits tombés,
et guéris les blessures
des arbres que le vent et la grêle ont meurtris;

Répands sur nous ton baume et berce nos douleurs!
Elles passeront, et nous.
Toi seule es éternelle.

Frères, unissons-nous, et vous aussi, mes forces,
qui vous entrechoquez dans mon cœur déchiré!
Entrelacez vos doigts, et marchez en dansant!

Nous allons sans fièvre et sans hâte,
car nous ne sommes point à la chasse du temps.
Le temps, nous l'avons pris.
Des brins d'osier des siècles, ma Paix tisse son nid.

* * *

Ainsi que le grillon qui chante dans les champs.
L'orage vient, la pluie tombe à torrents, elle noie
les sillons et le chant.
Mais à peine a passé la tourmente,
le petit musicien entêté recommence.

Ainsi, quand on entend, à l'Orient fumant,
sur la terre écrasée, à peine s'éloigner
le galop furieux des Quatre Cavaliers,
je relève la tête et je reprends mon chant
chétif et obstiné.

 
Ecrit du 15 au 25 août 1914.



Uploaded byP. T.
Source of the quotationhttp://www.gutenberg.org

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