Tengour, Habib: Secrète au grand jour

«…Toujours plus lente, et tes gestes pris peu à peu dans la glu d’une étrange torpeur, immobile enfin, tellement perdue que ma voix ne peut plus t’atteindre…»

Gustave Roud

 

ÉTAT I

 

NOIRE, telle âme en exil s’achemine lentement vers

la mort. Voici l’hiver. Le corps des mendiants se tord sur

une bouche de métro. Ce n’est pas ce froid que je crains ni la

faim du ventre bien que mendiant à ton seuil, les membres

bleus. C’était mon histoire déjà vivre pour t’aimer me perdre

dans la nuit de ma ceinture.

Je me suis masqué au moment de l’accueil.

Les amants ont souffert une passion, se sont séparés.

Gardes-tu en mémoire mon aimée cette agonie déployée dans l’

écume rose du matin

la fenêtre dans la mer demeure-t-elle reconnaissante ?

 

ÉCLATANTE l’ âme au comble du désir

elle tourbillonne dans un ciel pur

se protège des regards envieux libre

C’est un été qui porte une moisson bénie offrande

Comment nos coeurs se sont-ils égarés dans la maison?

Il y avait un serpent pour garder le seuil éconduire

tous étrangers. Il y avait une telle impatience dans nos

corps épris…et l’été qui allait finir dans la peine.

Mais dans l’instant les amoureux chantent dansent

ne cessent de s’éblouir dans la lumière.

 

BLANCHE l’âme qui s’est reniée dans son âme tremblée

elle glisse sans ivresse sur le corps étendu à mi-chemin

(il dit : j’étais celui qui était mort t’attendait

dans mon coeur il y avait ton empreinte depuis longtemps

elle dit : ma vie était vide tu ne l’as pas remplie)

se discerne une trace qui est triste que tu cherches

à e√acer C’est en vain que tu regardes ton visage dans

le miroir de la salle de bains Que regardes-tu la bête

terrassée…gémissante la bête aux grands yeux blessés

Elle dit : mon coeur a eu si mal tu n’as rien su faire,

pauvre coeur qui ne voit pas son âme saigner à blanc

 

INQUIÈTE mais reine mon âme dirige une cohorte d’anges

blessés au talon. Elle exhorte son armée boiteuse au martyre

comme s’il s’agissait d’aller cueillir dans les terrains de

parcours les premières fleurs du printemps. Elle se trouble à

la vue du sang qui parsème les champs mal cultivés. L’été va

bientôt venir tout incendier dans la plaine. L’âme a ses

refuges haut dans la montagne (jadis la tribu y fut enfumée)

J’ai survécu aux massacres mais mon coeur a oublié le

battement familier des paupières, et le supplice.

Après si longue absence,

le coeur ne raconte plus ses exploits.

La veilleuse a cligné avant de s’éteindre au-dessus de

nos têtes flottantes.

La nuit est tombée bleu dans le jardin.

 

AVEUGLE âme a perdu son coeur aimant ;

elle trébuche dans la peine. Elle a mal à son coeur.

Elle s’agite comme un coq égorgé sur le trottoir.

Elle a trop mal pour le dire à tout le monde.

Elle est amoureuse à genoux et nue !

Dans le crépuscule il y a des voix distinctes du sang.

Ils sont nombreux — abandonnés — à tendre l’oreille ou le

couteau à chercher un chien dans la clairière du feu.

Avec l’été tous nos amis sont partis.

Que de souvenirs…

Au moment de l’adieu ta vie devient transparente aussi

peut-elle se

regarder sans peine.

 

ÉTAT II

 

NEUVIÈME heure s’empare de mon âme l’étrangère

s’acheminant dans l’hiver et la faim blême

au pas d’une porte là tu te plies dans la nuit

pour consulter ta vie celle transcrite

celle où tu grelottais d’aimer si fort

devant la porte close mesurais les heures

tu ne savais comment découvrir ton âme

ni accueillir la peine dans le coeur délaissé

passé la douzième heure consulte sa mémoire

pour en saisir encore l’ agonie

revoir la mise en scène d’un désir décédé

le matin les surprenait écumant et rose

par la fenêtre bleue le corps gonflé de joie

et la belle endormie le jour l’étrangère

 

ÉTRANGÈRE corps scarifié âme bleue

elle s’offre tourbillon au comble de l’ été

légère la vague éclate à la face du ciel

bénis les coeurs dilatés dans la lumière

coeurs égarés dans la blanche maison là

bas en bordure de la mer où dansent des rayons

il y avait une garde secrète familière

cette impatience /lustres l’été

commençant été il allait finir tel

enfer des rêves exprimés

inaccomplis ne reste que la tension sourde

des coeurs ballottés de gares routières en

paradis coeurs éblouis dans le merveilleux

instant d’ abandon inconnu étrange bleue

 

BLEUE la transe emporte l’âme incandescente

loin de la ville où se pavanent nos rêves lourds

d’avoir rêvé à haute voix échangé

leurs secrets au grand jour c’est la jument Borâq

elle s’élève ailée ivre et tremble de s’ approcher

elle me regarde dans l’âme et l’ âme silencieuse

vainement le coeur ravive l’empreinte e√acée

voilà qu’à nouveau ta vie s’étend dans le vide

dans l’oeil qui cerne la tristesse de la bête

que tu interroges elle ne répond pas

à terre le ciel manteau qui couvre mal

le soir c’est un saignement elle reste muette

transportée dans le vide de son âme guérie

se confond avec sa veine incandescente

 

INCANDESCENTE mon âme / …incandescente/ aurore

dans la paume de l’aurore coeur aimant

un galet se fendille comme aimant

sur la grève l’aurore distingue une intaille

remous roses et caresses portent le coeur à l’ âme

aurores successives auront poli la texture

d’où vient que la nacre s’y dépose étincelle

au premier rai sur la grève parmi les galets

celui-là seul dressé au soleil dans le blanc

de l’été — vis-à-vis des chansons — terrasses

une saison nos âmes sont blanches de feu

sur la terrasse aveugle se réjouissent chaux vive

vagues et brises murmurent dans le bleu de l’ intaille

ton regard /écho à la mer coeur aurore

 

AURORE une puis l’autre les cordes lâchent Celles Noueuses

de maléfices…réintègrent l’oeil bas le repaire

lorsque les deux amants se réveillent il fait grand jour

dans le secret de leur âme la table est servie

j’ai bien dormi /dit-il/ tu dors très bien /dit-elle/

c’est bon quand l’amour est violent comme tu le fais

je n’ai rien fait dit-il c’est un coup du destin

ce n’est pas mon corps et nous allons en mourir

pour l’instant les deux lits étaient joints la fenêtre

donnait dans le rêve à venir rose bleu et musc

l’été dans son apogée les enchantait

ce décor tombé les âmes sans coeur

se tourmentent à l’ écoute la romance dénouée

et Celles dans l’aurore au guet déjà mains noueuses

‘‘…Always slower, and your gestures caught little by little in the glue of a strange torpor, finally unmoving, so lost that my voice can’t reach you any longer…’’

Gustave Roud

 

STATE I

 

BLACK, such a soul in exile slowly makes its way towards

death. Here’s winter. The body of the beggars twists at

a subway opening. It’s not this cold that I fear or the stomach’s hunger

although a beggar at your threshold, my limbs blue.

It was already my story to live to love you to lose myself

in the dark of my belt.

I put on my mask at the moment of welcome.

The lovers have su√ered a passion, have separated.

Do you keep in your memory my beloved this agony unfolded in the rose

spray of morning

the window in the sea does it remain grateful?

 

GLEAMING the soul at the height of desire

it whirls about in a pure sky

protects itself from envious glances free

It’s a summer wearing a blessed harvest o√ering

How could our hearts have gotten lost in the house?

There was a snake to watch over the threshold to turn away

all strangers. There was such an impatience in our

bodies in love…and the summer that would end in sorrow.

But right now the lovers are singing are dancing

never ceasing to be dazzled in the light.

 

WHITE the soul who denied itself in its trembled soul

it slides undrunken over the body stretched out half-way

(he says: I was the one who was dead waited for you

in my heart had been your imprint for a long time

she says: my life was empty you didn’t fill it)

a trace can be seen so sad that you try

to wipe out in vain you look at your face in the

mirror of the bathroom What are you looking at the beast

laid low…moaning the beast with the great wounded eyes

She says: my heart hurt so much you couldn’t do anything,

poor heart that doesn’t see its soul bleeding white

 

DISTURBED but queen my soul directs a cohort of angels

wounded in the heel. It exhorts its limping army to martyrdom

as if it were a matter of going to gather in the traversed

terrains the first spring flowers. It is disturbed at the sight of the blood

sprinkled over the ill-cultivated fields. Soon the

summer will come to burn all up in the plain. The soul has its

refuges high in the mountain (formerly the tribe was smoked in there)

I’ve survived the massacres but my heart has forgotten the

familiar beating of eyelids, and the torture.

After such a long absence,

The heart no longer tells its exploits.

The night light blinked before going out over

our drifting heads.

The night fell blue in the garden.

 

BLIND soul has lost its loving heart;

it stumbles in sorrow. Its heart is pained.

It thrashes about like a cock its throat cut on the sidewalk.

It’s too pained to say it to everyone.

It is loving on its knees and naked!

In the twilight there are distinct voices of blood.

They are numerous — left behind — to bend the ear or take out a

knife to look for a dog in the clearing of fire.

With the summer all our friends have left.

Such memories…

At the instant of farewell your life turns transparent and so

it can look

at itself without grief.

 

STATE II

 

NINTH hour the stranger takes hold of my soul

making its way in winter and hunger pale

at a doorstop there you bend over in the night

to consult your life the one transcribed

the one where you shivered from loving so

before the closed door you counted the hours

you didn’t know how to discover your soul

nor to welcome sorrow in the abandoned heart

past the twelfth hour consults its memory

to grasp again the agony

to see once more the setting of a desire deceased

the morning surprised them foamy and rose

through the blue window the heart swollen with joy

and the lovely sleeping one the day the stranger

 

STRANGER scarred body blue soul

she offers herself tornado at the height of the summer

lightly the wave splashes in the face of the sky

blessed the hearts dilated in the light

hearts lost somewhere in the white house over

there at the edge of the sea where the rays dance

there was a secret familiar guard

this impatience /candelabra summer

beginning summer it was going to end a

hell of the dreams told

unaccomplished there remains only the dulled tension

of the hearts tossed about in the bus stations in

paradise hearts dazzled in the marvelous

instant of unknown abandon strange blue

 

BLUE the trance bears away the incandescent soul

far from the town where our heavy dreams strut

from having dreamed aloud exchanged

their secrets in broad daylight it’s the Borâq mare

she rises winged tipsy and trembles at coming closer

she looks in my soul and the silent soul

vainly the heart brings back to life the imprint e√aced

look how once more your life stretches forth into the void

in the eye which envelops the sadness of the beast

whom you question she doesn’t reply

on the earth the sky a cloak scarcely covering

the evening something’s bleeding she stays silent

transported in the emptiness of her soul healed

mingling with her vein incandescent

 

INCANDESCENT my soul /…incandescent/ dawn

in the dawn’s palm loving heart

a pebble splits open as if loving

on the sand dawn singles out a gem

rose tremors and caresses bear the heart to the soul

successive dawns will have polished the texture

how is it that the mother of pearl settles there spark

at the first ray upon the sand among the pebbles

this one alone standing in the sun in the white

of summer — facing the songs — terraces

a season our souls are white with fire

on the blind terrace are rejoicing limestone

waves and breezes murmuring in the blue of the gem

your gaze /echoing the sea heart dawn

 

DAWN one then the other the cords slip Those Knotted

with evil spells…reintegrate the eye low the repair

when the two lovers wake up it is broad daylight

in the secret of their soul the table is set

I slept well /he says/ you sleep very well /she says/

it’s good when love is violent as you make it

I did nothing he says it’s a trick of fate

it’s not my body and we shall die from it

for the moment the two beds were joined the window

opened on the dream to come rose blue and musk

the summer at its apogee enchanted them

this setting once struck the souls without a heart

torment each other in listening to the romance unknotted

and Those in the dawn watching already knotted hands