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Tardieu, Jean: Cézanne (Cézanne in English)

Portre of Tardieu, Jean

Cézanne (French)

Comme au-dessus du ciel il y a le ciel et après la vie la vie, — au-delà du regard il y a le regard.
Apre, violent, obstiné, le regard qui jaillit comme l’étincelle entre deux pierres, — et sa joie confine à la panique et son élan si loin l’engage qu’il menace à
la fois le secret de l’esprit et celui des choses.
Lieu caché au fond du plein jour, domaine du feu primitif et des surprises de la condensation, second regard! C’est là qu’au milieu du strident silence des
cigales, un Enchanteur seul, fumant de colère et de volonté, fait e√ort pour rapprocher peu à peu l’une de l’autre les rebelles et rivales évidences du monde
sensible et de la pensée impalpable.
Tandis que d’autres cherchent la lumière (cette abstraction), il écarte d’un geste le poudroiement des rayons et, possédé par les fureurs de la découverte, il
touche à la nature des choses: la Couleur.
Une parure? — Non! Un masque? — Non! l’Être même! Vérité venue du centre des objets, puisée à leur substance, lentement repoussée sur leurs bords
par le travail des intimes échanges, purifiée par son ascension, hissée enfin à son comble: l’air libre, — plus elle s’évapore, plus elle se renouvelle et plus elle reste fraîche aux lèvres des yeux altérés.
Oui. Fraîche. Acide. Verte. Minérale. Absolue. Couleur, pierre de la construction du monde, degré d’intensité des formes (qu’elle étire et modèle à son gré), limite et lien des éléments, inséparable de la Création, comme elle inépuisable…
Telle dans sa splendeur elle est donc aussi le secret, le carrefour magique et mouvant où se rencontrent l’âme qui voit et les présences qui sont vues. Sans
quitter les plans qu’elle a construits, elle se plaît aux métamorphoses, s’altère quand tournent les volumes, quand les spectacles s’éloignent. Elle se meut dans son propre mystère et fait bouger plus loin qu’elles-mêmes, dans le sillage des planètes, ailleurs, là-bas où nous ne sommes pas encore, les éclatantes et souveraines masses d’une pomme, d’une chaise, d’un rideau d’arbres ou des joueurs de cartes soudain figés dans leur mouvement personnel par l’élan de la bourrasque invisible qui les entraîne.
Désormais sûre d’elle-même, cette puissance enfin peut se permettre les plus délicats des jeux: sur la feuille transparente de l’étendue, parfois quelques touches légères, une poignée d’allusions suffisent à bâtir une montagne.
Alors, entre les teintes espacées, il n’y a plus que des lacunes sans visage, il n’y a plus que le vide. Pourtant on voit que la montagne tient toujours.
C’est comme si (je tremble de le dire), comme si peu à peu la réalité se mélangeait à une sorte d’absence toute-puissante…
Et tout à coup notre coeur s’arrête. L’Enchanteur a trouvé: terre, mer et ciel, le monde vient de basculer dans l’esprit.



Uploaded byP. T.
Source of the quotationhttp://irc.sunchat.hu/vers/

Cézanne (English)

Just as beyond the sky is the sky, beyond life, life,—beyond seeing is seeing.
Harsh, violent, stubborn, that moment of seeing which flashes like a spark between two flints—and the joy it induces touches on panic, and its irruption
involves it so far that it threatens the secret of the mind and the secret of things.
A private space hidden in the full light of day, realm of primitive fire and the surprises of condensation, second act of seeing! There, in the strident silence of
grasshoppers, a solitary Enchanter, fuming with rage and with will power, struggles gradually to bring together the rebellious and rival affirmations of the  sensible world and impalpable thought.
Where others seek light (that abstraction), he brushes aside at a stroke the shimmering of rays, and, possessed by the fury of discovery, touches on the nature of things: Colour.
A raiment?—No! A mask?—No! Being itself ! Truth deriving from the core of objects, drawn from the well of their substance, slowly displaced towards their
edges by the working of intimate exchanges, purified by its ascension, finally drawn up to its pinnacle: free air,—the more it evaporates, the more it is renewed, the more it retains its coolness on the lips of quenched eyes.
Yes. Cool. Sharp. Green. Mineral. Absolute. Colour, the world’s keystone, point of intensity of forms (which it draws out and models at its will), limit and link of the elements, inseparable from Creation, and like Creation, inexhaustible…
Such in its splendour is it also the secret, the magic and moving intersection of the seeing soul and seen presences. Without leaving the planes it has constructed, it takes pleasure in metamorphoses, changes as volumes turn, as spectacles recede. Its movement takes place within its own mystery, and gives movement elsewhere, in regions we have not yet attained, in the wake of the planets, beyond themselves, to the shattering sovereign masses of an apple, a chair, a curtain of trees or a group of card-players, suddenly frozen in their own movement by the surge of the invisible squall which carries them on.
Confident now, this force can finally allow itself the most exquisite form of play: on the transparent leaf of the stretched surface, a few light touches, a
handful of hints, sometimes suffice to build a mountain.
Then, in the spaces between the touches of colour, there are no more than faceless gaps, no more than the void. And yet, manifestly, the mountain still stands.
As though (I tremble to say it), as though gradually reality were mingling with a kind of omnipotent absence…
And suddenly our heart misses its beat: the Enchanter has won his trick: earth, sea and sky, the world has been thrown off its axis in the mind.



Uploaded byP. T.
Source of the quotationhttp://www.scribd.com

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